Le tramway

HISTOIRE DU TRAMWAY DE BREZOLLES 

Du tramway de Brezolles, il ne reste presque plus rien sinon quelques bâtiments et une rue : la rue du Tramway. Les curieux trouveront ici matière à retrouver un morceau de notre histoire dans une époque révolue.

INTRODUCTION

Dès le règne de Napoléon III, des banques et des grands entrepreneurs se tournent vers la construction ferroviaire jugée prometteuse malgré de lourds investissements. Les premières grandes lignes réalisées, les petites localités désirent elles aussi être desservies. Pour réaliser des économies, une réglementation plus souple est mise en place comme la loi Migneret du 12 juillet 1865 qui sert d'acte de naissance aux futurs chemins de fer « économiques ». Les départements et les communes peuvent réaliser les travaux et choisissent généralement un écartement métrique (1 mètre) par opposition aux voies normales (1.435 m) du grand réseau et aux voies étroites (60 cm) réservées aux industries et aux militaires.
Aucun plan global n'existera mais il s'agit de relier les petites localités. Les nouvelles lignes sont également des atouts électoraux.


CHRONOLOGIE

La loi Freycinet du 17 juillet 1879 est destinée à rendre cohérent le réseau ferré français en définissant deux cadres distincts les lignes de chemins de fer « d'intérêt général » ou grand réseau (future SNCF issue de la fusion de 7 compagnies) et les lignes de tramways « d'intérêt local » ou réseau secondaire. Ces tramways sont majoritairement établis en accotement ou sur les routes départementales et communales.
La loi de 1913 restreint la notion de tramways aux chemins de fer transportant uniquement des voyageurs ou des messageries en zone urbaine ou périurbaine.


1897 : étude par le conseil général d'un réseau nommé Tramways d'Eure et Loir faisant partie du groupe Verney qui exploite alors les réseaux de nombreux départements. Les travaux débutent alors rapidement. Le réseau d'Eure et Loir couvrira jusqu'en 1937 une longueur de 224 km. Les groupes de Châteauneuf et de Dreux sont restés isolés mais furent les premiers ouverts et les derniers fermés.

8 janvier 1899 : ouverture de la ligne Dreux-Brezolles par la « Compagnie des Tramways d'Eure et Loir », d'une longueur de 23.870 km. Deux à trois trains par jour et par sens circulent, selon que la recette annuelle est inférieure ou supérieure à 3000 francs. Une troisième navette est prévue le lundi et les jours de foire à Dreux et Brezolles même si la recette est inférieure à 3000 francs. Les premiers incidents sont à déplorer : manque de wagons, déraillements, retards et réduction des services à deux aller-retour quotidiens.

Août 1899 : le conseil général décide de créer un troisième aller-retour par jour et achète une nouvelle locomotive.
Recette de l'année 1899 pour la ligne Dreux-Brezolles : 1630 francs.

 Ligne Dreux-Brezolles : inauguration de la Halte des Corvées (01 06 1905)

15 août 1907 : prolongation de la ligne de Brezolles à Senonches (longueur 17.058 km) pour réunir les réseaux, notamment vers Chartres. Il est prévu trois aller-retour pour une vitesse commerciale de 15 à 20 km/h. La ligne Brezolles-Senonches sera une des moins fréquentées du réseau départemental.

La guerre de 1914-1918 entraîne une réorganisation des réseaux du fait de l'utilisation du matériel vers le front. L'entretien sera moins assuré et il n'y aura plus qu'un ou deux aller-retour par jour.


Le déficit devient catastrophique vers 1925 : le matériel et la voie sont laissés dans un quasi-abandon. Des déraillements ont lieu dont un grave le 9 octobre 1923 où la loco se renverse. Son chauffeur, un remplaçant de 18 ans a les deux jambes brisées. La rame reste sur les rails miraculeusement. Un autre déraillement a lieu en 1922 à Allainville où le train défonce une maison un jour de noce.

Ci-dessous : déraillement du 12 juillet 1910 près du Mesnil-Thomas

1925 : une année qui annonce la crise de 1929. Les tarifs subissent une forte augmentation (voyageurs : +200%, marchandises : +300%). Naissance d'un nouveau réseau d'autobus. Le rachat de la ligne est décidée par le conseil général et le réseau est affermé par le SGTD qui exploite les autobus. On compte alors deux aller-retour par jour et un supplémentaire le lundi. Des crédits importants sont accordés pour améliorer, transformer le matériel. Le service est mixte (vapeur et autobus).

1930. Nouvelle réorganisation : la ligne est exploitée par un autorail faisant deux aller-retour dont un partiel.
1931. Fermeture des réseaux de Châteauneuf-La Loupe et Digny-La Loupe. D'autres suivront.
1932. Deux aller-retour plus un mixte le mardi par automotrice.
1933. Dreux-Brezolles est exploitée entièrement par autobus pour les voyageurs. Le trafic marchandise par rail a chuté de 30% en un an. La ligne est fermée le 26 mai 1933.
1934. Disparition quasi totale des tramways d'Eure et Loir, sauf la navette de Châteauneuf.
1935. Vente du matériel roulant.
1937.Derniers déclassements dans le département et dépose jusqu'en 1938.

Ci-dessous, la gare telle qu'elle était avant 1907 (terminus Brezolles) et le plan correspondant en dessous (daté du 25 nov 1899; archives de Chartres section 5 S 505)

LA VOIE ET LA LIGNE

La voie se situait en accotement de route le plus souvent, avec peu de déviations et aucun ouvrage d'art. Des remblais ont parfois été nécessaires pour assurer l'horizontalité du tracé comme sous l'actuelle rue du Tramway. Cette voie était armée en rails de 18 kg/m sur des traverses en chêne espacées de 70 à 80 cm, le ballast étant constitué de pierres concassées. Ces traverses étaient recouvertes pour les protéger en partie des chutes de cendres incandescentes et des insectes xylophages.

1°) Dreux-Brezolles

D'une longueur de 23870.90 mètres, la section de Brezolles à Dreux a été déclarée d'utilité publique le 27 février 1897, ouverte aux voyageurs le 8 janvier 1899 et aux marchandises le 1er février 1899. Elle fut fermée le 26 mai 1933. 

Le trajet était le suivant (voir tracé page précédente):
Brezolles / Vitray sous Brezolles / Prudemanche / Laons / Escorpain / Châtaincourt / Garancières / Allainville / Les Corvées / Dreux (rue St Thibault) / Dreux (Place Ménizard, anciennement Saint-Gilles) / Dreux (Vieux-Près) / Dreux (Gare de l'Etat).

2°) Brezolles-Senonches

D'une longueur de 17058.80 mètres, la section de Brezolles à Senonches a été déclarée d'utilité publique le 22 août 1905, ouverte aux voyageurs le 15 août 1907 et aux marchandises le même jour. Elle fut fermée le 26 mai 1933. La ligne prolongeait celle venant de Dreux, prenait l'accotement de la route de Louvilliers et s'en écartait par endroits.

Le trajet était le suivant :
Brezolles / Crucey / La Fanconnière (arrêt facult.) / Louvilliers Lès Perche / Le Mesnil-Thomas / La Motte (arrêt facult.) / Boussard (arrêt facult.) / Senonches (Pont Pinet) (arrêt) / Senonches.

Ci-dessous: en tracé pointillé noir le tracé de la voie Dreux-Brezolles et en rouge celui de la prolongation Brezolles-Senonches. (plan de 1884 modifié 1900: les tracés rouges sont des lignes en prévisions, certaines sont restées à l'état de projet)

LES INSTALLATIONS DU RESEAU

Les gares courantes de passage étaient constituées d'un abri pour les voyageurs et d'une halle à marchandise séparée, face à une voie directe et une voie d'évitement (permettant le croisement des tramways). La plupart de ces bâtiments existent encore sur l'ancienne ligne Dreux-Brezolles et sont soit abandonnées, soit transformées en salle des fêtes ou en logement.
Les gares terminus et de bifurcation comme celle de Brezolles comprenaient une remise à machine avec dortoir pour l'équipe de conduite (aujourd'hui faisant partie du restaurant Le Relais) et deux voies de garage supplémentaires. Cette remise pouvait recevoir quatre machines. L'atelier était pourvu d'un moteur à vapeur de 6 CV disposé pour la commande d'une machine à percer, d'un tour ordinaire et éventuellement d'un tour à roues. L'alimentation d'eau était branchée, par l'intermédiaire d'un réservoir de 10 mètres cubes sur la concession municipale de Brezolles. La gare de Brezolles aujourd'hui détruite, fut inaugurée le 22 janvier 1899 par M. Krantz, ministre des travaux publics et par Paul Deschanel, ancien sous-préfet de Dreux, alors Président de la Chambre des Députés et futur Président de la République. Presque un siècle plus tard, en 1994, la gare fut détruite sans qu'un projet de maison pour les jeunes ne voie le jour. Un projet de réalisation d'un rond-point routier est de plus envisagé.

La signalisation était minimaliste, voire inexistante.

Ci dessous: l'hôtel du commerce a fait le plein de voyageurs.

MATERIEL ROULANT MOTEUR

1°) Construction de la ligne

1 locomotive baptisée Antoinette de type 020 de 7 tonnes fabriquée par Weidknecht.
1 locomotive baptisée Denise de type 030 de 11 tonnes fabriquée par Corpet et Bourdon.


2°) Exploitation

a) Vapeur

Il circula 7 locomotives de type 030T fabriquées par Corpet-Louvet à Paris au 117 avenue Philippe-Auguste. Les trois premières du tableau ci dessous roulaient sur la ligne Dreux-Brezolles, et les quatre suivantes sur la ligne Dreux- Senonches.


Poids à vide  N° réseau   Nom de baptême N° construction Date livraison Mise en service
12 tonnes        1            Dreux                716       03-12-1898  27-12-1898
12 t                 2         Brezolles              717       12-12-1898  27-12-1898
16 t                 9            Laons                850       30-10-1900   20-02-1901
16 t                 7         Senonches           1076     09-03-1906
16 t                 8         Louvilliers            1078      24-07-1907     07-09-1907
16 t               21         Nogent le Rotrou      1175    09-06-1908  03-10-1908
16.5 t            24         Belhomert            1474       09-05-1914   02-07-1914


Explication du sigle 030T : O= zéro roues porteuses avant
3= trois essieux de roues motrices
O= zéro roues porteuses arrière
T= le tender est inclus à la machine (eau et charbon)
[autre exemple : loco Pacific 231 : ooOOOo, le tender est remorqué ]

Caractéristiques des locomotives à vapeur 030T Corpet-Louvet : 16 tonnes à vide, 21 tonnes en charge, diamètre des roues 0.90 m, diamètre des cylindres 30 cm, course des pistons 45 cm, longueur hors tampons 6.58m., largeur totale 2.10 m, empattement total (longueur de contact au sol) 2.10 m, 2300 litres d'eau dans les soutes, 1000 kg de combustible (charbon), 3780 kg d'effort de traction. Elles furent un des modèles les plus répandus en France.

b) Autorail

Une automotrice Renault Scemia type NX3 fut affectée à Brezolles en 1931. Elle pesait 9.5 tonnes, était mûe par un moteur essence à 4 cylindres pour une puissance de 25 CV. Elle contenait 26 places assises et 16 places debout. Sa faible puissance ne lui permettait pas de tracter des wagons. Son affectation fut de courte durée.

WAGONS


Le nombre et le type de wagons varièrent selon le succès de la ligne. Les réquisitions pour le premier conflit mondial fut relativement peu important sur notre ligne, les militaires préférant le matériel pour voies étroites. Au début du siècle circulait le matériel suivant :

Un salon de 1ère classe à 18 places, 1 à 3 voitures 1ère/2ème classe, 4 à 10 voitures de 2ème classe, 2 fourgons à bagages, 11 à 40 wagons à marchandises couverts de 5 ou 10 tonnes, 3 à 7 tombereaux ordinaires, un tombereau à barre de faîtage, et 2 à 8 wagons plats. Le matériel 5 t a été construit à Blanc-Misseron et le matériel 10 t chez Baert et Verney. Les locos, voitures et fourgons possédaient un frein à vis et un frein à vide Soulerin. Le matériel roulant était équipé de d'attelage à tampon central et tendeur unique.

Les voitures de voyageurs étaient des caisses de bois montées sur un châssis métallique à deux essieux. Elles étaient souvent constituées d'une seule grande salle équipée de deux rangées de sièges de part et d'autre d'un couloir central. L'accès se faisait par deux plates-formes d'extrémités ouvertes à tous les courants d'air et aux escarbilles encore incandescentes projetées par la cheminée de la locomotive. Les wagons de marchandises ont transporté essentiellement de l'engrais, des matériaux de construction, de la houille, du vin et des denrées alimentaires, de la fonte et des métaux, des objets manufacturés et toutes sortes de bétails.


CONCLUSION


On remarque que si la fin du XIXème siècle a connu un essor industriel rapide, les tramways de nos campagnes ont bénéficié d'un certain attrait pour le progrès technique, mais avec une application commerciale peu convaincante. Le déclin des lignes de tramways est lié à plusieurs circonstances : l'influence de la guerre de 1914-18 sur le matériel et le mauvais entretien de la ligne, le début de la concurrence de l'automobile, la crise économique des années 30, le coût des matières premières (la vapeur est moins compétitive que le camion plus mobile). Les exploitants des voies ferrées créent leur propre concurrence en ouvrant des lignes d'autocar, d'où un déclin dans les années 30 par insuffisance de coordination entre le rail et la route.

Pourtant, même si le train passait parfois au raz des maisons, il a su donner vie à nos villages en colportant les nouvelles, en facilitant les voyages à une époque où la possession d'un cheval avec carriole était réservée aux gens les plus aisés.

Ci-dessous : la gare avant sa démolition en 1994.

BIBLIOGRAPHIE et SOURCES


Archives municipales
Revue : Chemins de fer régionaux & urbains n° 262 (1997) encore disponible
Petits trains pittoresques de Philippe Lévêque et Daniel Tallet, éd. Jean-Cyrille Godefroy
Les petits trains de chez nous de Claude Wagner et Louis Poggi, éd. MDM
Il était une fois les tramways et les trains du Vendômois, petite Beauce, Blésois au début du XXè siècle, éd. CPE
Mémoire en images : Senonches, Chateauneuf en Th., Brezolles de Paul Alexandre et Colette François-Dive, éd. Alan Sutton.
Les incontournables cartes postales anciennes de Flamichaut. (Merci à Mme Cherey, Mme Desforges, Mme Francois-Dive, Mme Milet, M. Morin et M. Vagner).
Une vieille carte routière Taride (environs de Paris au 1/250000) aimablement prêtée par M. Morin.
Sites Internet intéressants consacrés aux associations et restaurateurs de vieux tramways :
http://www.trains-fr.org/mtvs/
www.trains-fr.org/
Musées ferroviaires : Valmondois (95) que nous remercions pour leur coopération, Mulhouse (68)


Article paru en décembre 2001 dans le bulletin municipal de Brezolles

Jean-Luc Jouanigot