Brezolles en 1914-1918
La France commémore cette année le centenaire de la grande guerre et c'est l'occasion pour nous, brezolliens, de voir quelles ont été les répercussions de ce conflit dans notre village, bien que loin du front, tant sur le plan humain qu'économique. Nous avons choisi de consulter les archives municipales, en particulier les comptes rendus des réunions du conseil municipal. Si celle-ci sont intéressantes pour fixer quelques repères, elles sont par contre assez lapidaires et neutres face aux événements pourtant majeurs de l'époque. La mairie a poursuivi la gestion de la ville au mieux et nous n'évoquerons que ce qui a un rapport avec la guerre. C'est pourquoi des commentaires additionnels ont été ajouté pour contextualiser ces comptes rendus. On verra que l'après-guerre a laissé des traces jusqu'à nos jours.
1) L'avant-guerre : l'insouciance.
Image de bonheur. Pourtant la jeunesse est élevée dans un esprit de revanche après la guerre de 1870 (perte des provinces de l'est). L'école républicaine prêche le redressement moral et intellectuel de la Nation, ainsi que l'idée de sacrifice. La propagande militariste va former une génération prête à en découdre avec l'ennemi allemand.
Ci-dessus: l'ancienne mairie installée à l'angle de la rue aux juifs depuis 1807, mais l'aspect actuel date des travaux de 1862. La mairie est au rez-de-chaussée et la justice de paix à l'étage. En 1924, la mairie s'installera rue Saint Jean (ancien hôpital). A gauche un lampadaire au gaz. L'arrivée de l'électricité sera retardée par la guerre.
2) La période 1914-1918
Eté 1914 : c'est l'emballement après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, héritier de l'Empire austro-hongrois. L'ordre de mobilisation est placardé sur les murs de France le 1er août. Deux jours plus tard l'Allemagne déclare la guerre à la France après son ultimatum du 31 juillet.
Conseil Municipal du 06/10/1914. Première répercussion relevée en conseil municipal : le marché en prévision de l'installation de l'éclairage électrique des rues de Brezolles est résilié. Le projet est empêché par les « évènements actuels ». En conséquence, des mesures sont prises pour l'acquisition de lampes, de verres, de mèches et de pétrole.
L'éclairage électrique des rues ne se fera qu'en 1924 à Brezolles.
CM du 10/02/1915. Le conseil accorde à l'unanimité une remise de prix de concession dans le cimetière en faveur de M. Jean, briquetier au Petit Chêne, décédé à l'hôpital de Dreux, des suites de maladie contractée pendant l'accomplissement de son appel sous les drapeaux.
CM du 03/07/1915. Le conseil augmente considérablement sa subvention destinée à l'assistance médicale gratuite (loi du 15/07/1893) par rapport à celle décidée en mai 1914. Il en va de même pour l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables (loi du 14/07/1905), pour l'assistance aux familles nombreuses (loi du 14/07/1913) et pour l'assistance aux femmes en couches.
Tout au long de ces années de guerre, les demandes d'assistance se multiplient comme en témoignent les délibérations successives du conseil.
La «maison du médecin», construite vers 1900 rue de la ferté, est un établissement privé destiné à recevoir les malades. Occupé par les soldats convalescents de la guerre, il devient ensuite hôpital public.
CM du 16/11/1915. Demande de M. David, mécanicien à Brezolles, fournisseur d'eau à la ville, d'obtenir une indemnité en raison de la hausse considérable du prix du charbon, dû à la guerre, pour faire fonctionner la machine à vapeur qui sert à monter l'eau dans le réservoir. Demande accordée.
CM du 20/02/1916. Nomination des membres du comité communal d'action agricole : par un nouveau décret, en temps de guerre, chaque commune doit avoir un comité permanent d'action agricole. Il peut demander si nécessaire du personnel réquisitionné pour suppléer à l'absence d'agriculteurs partis sur le front.
L'agriculture subit les conséquences de la guerre d'abord par le manque de main d'œuvre et les pénuries d'engrais, et aussi par les réquisitions. Un grand nombre d'exploitants et d'ouvriers agricoles sont mobilisés (21000 en Eure-et-Loir) en 1916, soit le tiers de la main d'œuvre d'avant le conflit. Les mesures palliatives, comme l'utilisation de prisonniers de guerre ou de travailleurs coloniaux, et surtout les permissions individuelles, sont insuffisantes. L'abandon des terres et le recul de la production sont bien amorcés. Par exemple la production de blé en 1917 revient à ce qu'elle était au début du XIXème siècle, avec en plus des réquisitions brutales.
CM du 18/06/1916. Réclamation de la compagnie du tramway pour obtenir une réduction du prix de la fourniture en eau, en faisant remarquer que le nombre de train journalier est passé de trois à un. En effet, par un traité de 1903 entre la compagnie des tramways d'Eure et Loir (TEL) et la ville de Brezolles, cette dernière s'est engagée à lui livrer l'eau nécessaire à ses besoins. De son coté, la compagnie s'était engagée à prendre un minimum de 1800 mètres cubes d'eau par an, à raison de 0,30 F le mètre. Le conseil municipal expose son point de vue et rejette à l'unanimité la demande.
La guerre de 14-18 a eu des conséquences sur le déclin du réseau local. Du matériel a été réquisitionné pour le service sur le front. Le service entre Dreux et Senonches se réduit à un par jour (aucun à Châteauneuf) et le réseau est en très mauvais état par manque d'entretien à la fin de la guerre. La ligne sera fermée définitivement en 1933.
CM du 26/12/1916. L'école des garçons demande de relever les crédits alloués pour le chauffage, compte tenu de la cherté du combustible.
CM du 23/01/1917. Demande de remboursement à la société des pompiers de la valeur des effets d'équipements réquisitionnés par l'autorité militaire le 14 nov. 1914, et de 10 seaux de matériel d'incendie réquisitionnés le 31 oct. 1914, lesquels avaient été payés par la société. La demande est transmise au préfet.
CM du 02/03/1917. Achat de brochures « Leurs crimes ». Une circulaire du sous préfet de Dreux faisant appel au concours patriotique des municipalités pour que celles-ci votent un crédit pour l'achat de brochures ayant pour titre « Leurs crimes ». Le but est de « faire connaitre les atrocités commises par les allemands pendant la guerre actuelle ». Le conseil municipal décide l'achat de 100 brochures pour être distribuées aux enfants des écoles. Inscription au budget « dépenses imprévues ».
CM du 09/07/1917. Dans le compte rendu des réunions, il est précisé dorénavant que les membres présents « forment la majorité des membres en exercice et non mobilisés ».
CM du 02/09/1917. Création d'une commission arbitrale de résiliation des baux ruraux par suite de guerre. Circulaire du préfet, en cas de contestations...
CM du 13/10/1917. Le conseil fixe à 0,30 F le prix de l'eau au m3 à M. David que celui-ci pompe pour la ville. Brezolles lui fournit le charbon pour sa machine à vapeur (22,5 tonnes). Le prix était de 0,15 F avant la guerre.
CM du 14/02/1918. Avis sur demande du jeune Gasselin René, de la classe 19, collégien à Dreux (Rotrou), dans le cas où il serait reconnu bon par le conseil de révision, d'obtenir un sursis pour l'après-guerre pour la continuation de ses études, au vu de son dossier. Avis favorable.
CM du 13/04/1918. Désignation d'une commission chargée de régler les réclamations qui pourront être formées au moment de la distribution des cartes d'alimentation.
La pénurie alimentaire se développant rapidement après le début de la guerre, le rationnement du pain a été mis en place dès décembre 1914 dans certaines parties de la zone occupée. Il est ensuite étendu à l'ensemble du pays et à un grand nombre de denrées (farine, viande, lait, sucre, pâtes, riz, pommes de terre, chocolat, confiture etc.), et perdure après la guerre (jusqu'en 1921 pour le sucre).
En 1916, la pénurie engendre le développement du marché noir. La récolte est mauvaise et la pêche est interdite
En 1917, la population française est répartie en 6 catégories pour la mise en place des tickets de rationnements: catégorie E (enfants), A (adultes), J (jeunes), T (travailleurs), C (cultivateurs) et V (vieillards). Ces tickets donnaient droit à certaines quantités de pain quotidiennement selon la catégorie du demandeur. Rappelons que le pain était bien plus qu'aujourd'hui la base de l'alimentation populaire. Les bêtes de boucheries sont envoyées vers le front de l'est, ce qui aggrave la pénurie. Il n'est possible de n'avoir de la viande que deux fois par semaine en 1917 (3 fois en 1918). Le gouvernement impose une standardisation de l'usage de la farine et du pain. La pâtisserie est interdite. Les cartes de rationnement du pain perdureront jusqu'en 1919.
Dans ces circonstances, les cultivateurs, ceux qui peuvent élever des poules ou des lapins, ceux qui ont les moyens d'acheter au marché noir s'en sortent généralement mieux que le reste de la population.
CM du 11/05/1918. Désignation d'une commission chargée de dresser la liste des immeubles et locaux vacants susceptible d'être réquisitionnés pour les logements des réfugiés, des rapatriés, et en général de tous ceux qu'un fait de guerre prive momentanément de leur logement. Suite à la démission du Maire, M. Glatigny, la commission chargée des questions du ravitaillement (alimentation, charbon, etc.) est réactualisée.
L'essence et le pétrole ont aussi été rationnés de 1917 à fin 1918. En fait, seul le tabac n'était pas rationné.
CM du 22/06/1918. M. Hubert, conseiller municipal reprend sa place au sein du conseil, après trois ans de mobilisation.
3) L'après-guerre
CM du 07/12/1918. La guerre est terminée. Il est simplement signalé un surcroit de travail du secrétariat de la mairie. Cette surcharge fait suite à l'établissement de nouvelles cartes d'alimentation pour le 1er janvier.
CM du 27/02/1919. Après le conflit qui a désorganisé la gendarmerie et la police municipale, le conseil doit examiner une circulaire préfectorale visant à réorganiser la police municipale. Brezolles ne se voit pas concerné et demande à conserver son garde champêtre dont le rôle est multitâche.
Le garde champêtre dans le grand lavoir.
CM du 26/09/1919. Décision unanime du conseil « d'élever sur une des places de la commune un monument commémoratif à la mémoire des soldats de la commune morts au champ d'honneur ou décédés des suites de maladies contractées aux armées pendant la guerre de 1914-1918 ». Le monument est « destiné à perpétuer le souvenir de nos héroïques soldats morts pour la France ». Le conseil décide qu'à cet effet, il sera ouvert une souscription publique dans la commune pour que chaque famille puisse participer à cette œuvre. Une commission est désignée (incluant M. Hubert revenu du front) et une somme de 500 F est débloquée pour initier la souscription.
CM du 14/11/1919. Le conseil proteste contre le projet d'augmentation de 100% des tarifs du tramway (voyageurs et marchandises) suite aux récriminations de la population intéressée. La compagnie a déjà augmenté à plusieurs reprises ses tarifs d'avant-guerre. Le conseil suggère à la compagnie TEL de ré-ouvrir un 2ème train, au moins entre Dreux et Brezolles, ce qui favoriserait la reprise des affaires, augmenterait les recettes et donc les bénéfices.
CM du 20/12/1919. Délivrance de certificats de vie relatifs aux pensions militaires.
CM du 22/04/1920. Subventions pour l'hospice (dite « maison du médecin »).
L'ancienne mairie rue Saint Jean est en fonction jusqu'en 1977. Le monument aux morts est dans la cour.
L'Eure-et-Loir a perdu plus de 6000 hommes au combat, dont une forte proportion d'agriculteurs (un quart des mobilisés ne sont pas revenus). Il faut ajouter aussi un millier de mutilés. La population du département s'est accrue temporairement d'une foule de réfugiés venus du nord du pays mais le bilan humain est lourd.
Le comité départemental gère les dossiers de prêts accordés par la loi du 4 mai 1918 sur la mise en culture des terres abandonnées.
CM du 02/05/1921. Le conseil décide que les concessions seront gratuites à perpétuité dans le cimetière pour les sépultures des soldats morts à l'ennemi et ramenés du front.
CM du 08/12/1921. Délibération sur les fournitures scolaires aux pupilles de la Nation et orphelins de guerre.
CM du 10/03/1921. Projet de monument aux morts de la guerre : délibération concernant l'emplacement, la forme et les conditions.
CM du 19/10/1923. Le conseil vote une subvention de 30 francs pour le Comité du Monument aux Morts « à la Victoire », qui sera érigé à Verdun, « à la gloire des soldats morts en vainqueurs qui combattirent contre l'ennemi pendant la grande guerre ».
CM du 13/10/1924. Le conseil décide que l'inauguration du monument élevé aux morts de la guerre de 1914-18 dans la cour de la mairie (rue St Jean) aura lieu le 11 novembre (1924), sous la présidence du préfet, du sous-préfet de Dreux et d'autres personnalités.
Brezolles : les invalides de guerre participent à la cavalcade de la Quasimodo dans les années 20.
4) Les commémorations
a) Le vitrail commémoratif de l'église de Brezolles :
Ce vitrail, signé Ch. Lorin (Chartres 1922) a été installé en 1924. Il est illustré par une vue allégorique de la mort au front, devant la cathédrale de Reims. Les portraits de 16 combattants entourent le vitrail alors que 16 autres noms figurent dans la partie inférieure. Trois médailles sont aussi visibles : à gauche la médaille militaire (haute distinction militaire), au milieu l'insigne de chevalier de la légion d'honneur, et à droite la croix de guerre qui récompensait les méritants et les familles des victimes.
b) Plaques commémoratives dans l'église de Brezolles.
Dans la nef sont accrochées quelques plaques de remerciements dont celle-ci est la plus emblématique
c) Origine de la « minute de silence ».
Tous les 11 novembre, jour férié, nous célébrons l'armistice devant le monument aux morts. Cette cérémonie est accompagnée d'une minute de silence. Il est bon de se rappeler que c'est le onzième jour du onzième mois de 1919, à onze heure que pour la première fois il a été décidé non pas une, mais deux minutes de silence en hommage à l'arrêt du conflit. Ce rite de recueillement civil se perpétue et s'est généralisé à d'autres évènements. Ce principe de silence marque le contraste avec le bruit assourdissant des millions de bombes utilisées lors de la guerre.
Les 11 novembre. Le bleuet accompagne cette cérémonie, dont la couleur rappelle celle de l'uniforme des Poilus, et représente traditionnellement le sacrifice des soldats de la grande guerre.
2004 : décès du dernier poilu d'Eure-et-Loir, Georges Ulmann (1896 - 2004).
2012. C'est depuis 2012 qu'en France cette journée est aussi la journée de l'hommage aux morts pour la France, tous conflits confondus.
2014 : commémoration du centenaire du conflit.
En conclusion, pour ceux qui veulent approfondir le sujet, un conseil de visite pour comprendre et ne pas oublier : le musée de la Grande Guerre situé à Meaux (77).
Jean-Luc Jouanigot