Les remparts de Brezolles
BREZOLLES : ANCIENNE FORTIFICATION
Tour de la 2 ème enceinte au sud des fortifications. Propriété privée.
Rempart fin XI è siècle au sud des anciennes fortifications :
Contexte Historique
Depuis le traité de Saint-clair-sur-Epte en 911, la Neustrie (la Normandie) est dans ses frontières délimitées par les rivières de la Bresle, l'Epte et l'Avre. Or la frontière naturelle de l'Avre n'est pas une défense militaire suffisante.
Pour faire face aux invasions normandes sur les frontières du Perche alors mal défendues dans les environs de Dreux, les comtes de Chartres, dont dépendaient les seigneurs du Thimerais, renforcent la frontière de l'Avre dès le début du XI è siècle en édifiant du coté français les châteaux de la Ferté-Vidame (Ferté-Ernaut), Senonches, Brezolles, Maillebois, Thimert, etc. Les places fortes normandes en face sont crées et fortifiées: Tillières (depuis 1017), Nonancourt (depuis 1112), Verneuil-sur-Avre (depuis 1120), Montigny, St Christophe, Chennebrun, etc.
Il s'agissait de contrer les raids de pillages menés par des troupes peu nombreuses et très mobiles venues de Normandie dont la puissance est grandissante. La défense s'organise donc localement autour des mottes, rapides à construire, et qui utilisent des matériaux peu coûteux et disponibles partout.
Rempart à Nonancourt
Porte rue du château à Tillières
Fossé à Verneuil sur Avre
Bruenrolensis vicus (lieu couvert de bruyères)
C'est ainsi que vers l'an mille, le seigneur du Thimerais, après avoir défriché le site choisi, fait creuser un fossé semi-circulaire rehaussant ainsi un éperon rocheux naturel proche de la Meuvette et de la voie romaine, pour constituer une motte au sommet aplani. Il fait construire une tour et une couronne de murailles puis une seconde enceinte ovoïde dite basse-cour (le Bourg-Viel). Voir plan plus bas.
La basse-cour est un espace délimité par une enceinte et surtout en position inférieure par rapport au donjon. Le seigneur assure la protection d'un axe commercial et économique du village. D'une manière générale, la motte devient l'élément fort de l'organisation spatiale de l'an mille. La fortification répond toujours en premier lieu à la fonction défensive. Elle peut servir également de résidence seigneuriale et favorise la vie économique. A ces deux fonctions s'ajoute celle du symbolisme culturel et social.
Des moines de Chartres s'installent ensuite rapidement à Brezolles et construisent le prieuré près de l'église édifiée par le seigneur. L'émergence du pouvoir banal sur l'ensemble du territoire au début du XI è siècle est un élément supplémentaire favorisant la généralisation des mottes qui prolifèrent alors.
Brezolles au cœur de la guerre
En 1151, le roi de France Louis VII, assaille la Normandie. Henri II, duc de Normandie devant reculer par le Perche, incendie le château de Brezolles et la forteresse de Marcouville (près de Vitray). Après une trêve, les hostilités reprennent et Brezolles, situé au cœur de l'action est de nouveau incendié en 1159, tout comme Châteauneuf. Le conflit dégénère en 1168 et par vengeance, une partie du Perche est mise à feu et à sang, dont Brezolles et Châteauneuf. Les murs d'enceinte et l'église sont réparés en 1177.
La Normandie redevient province royale en 1204 et les châteaux du Thimerais perdent l'importance militaire qu'ils avaient eue jusqu'alors.
En 1266, Hugues du Châtel, seigneur de Brezolles, donne aux moines du prieuré les fossés de son château, formant la clôture du monastère.
A quoi pouvait ressembler le château de Brezolles ?
On peut raisonnablement exclure un édifice en bois au sommet de la motte castrale. La fortification en pierre, souvent un donjon entouré de remparts, ne correspond pas à une étape de l'histoire des châteaux-forts. Autrement dit, les châteaux en pierre n'ont pas succédé aux châteaux en terre et bois. Le choix des matériaux dépendait avant tout de la trésorerie du commanditaire, or le seigneur du Thimerais était puissant et a d'ailleurs permis la construction de la première église en pierre (cementariorum opere), contrairement à beaucoup d'autres qui étaient en bois. La forme de la tour était certainement rectangulaire à contreforts plats car telle était la règle au début de l'an mille.
Modèle de tour carrée à contrefort du château de Senonches. L'ancien château aurait été détruit au début du XII ème siècle puis un nouveau est aussitôt reconstruit tel qu'on le voit aujourd'hui :
Les donjons carrés de ce type avaient une évidente supériorité sur la motte en bois ; ils ne brûlaient pas, ils pouvaient atteindre des hauteurs plus grandes et, de ce fait, n'exigeaient pas une concentration aussi considérable de soldats que la levée de terre plus basse. Leurs inconvénients : les tours d'angle carrées étaient plus vulnérables aux sapes, et leur forme diminuait les champs de tirs flanquants.
Autres tours carrées de la région : Ivry-la-Bataille (le plus ancien château de pierre en France), Nogent-le-Rotrou. Les tours rondes n'apparaissent que plus tard. (Exemple: la Tour Grise de Verneuil, Houdan).
Au milieu du XIX è siècle Lefèvre (Brezolles et ses environs) signale qu'il ne restait que quelques ruines du château et qu'en les démolissant, il fut trouvé divers ossements humains. La butte du château, appelée aussi butte du calvaire, subsiste encore, bordée au sud par les anciens fossés. Une gravure de cette époque montrant l'église laisse apparaître les dernières pierres du château. Il n'y a malheureusement aucune image connue de l'édifice. C'est en 1875 que la commune fait araser la butte de château, combler les fossés et démolir les maisons attenantes laissant ainsi libre le passage entre le Bourg-Viel et l'église. Seule la portion du fossé située derrière la maison n°12 de la rue de l'église est conservée.
Les portes et les remparts de la ville (voir plan)
Le château et les fortifications sont un édifice que les seigneurs se transmettent sur plusieurs générations en l'aménageant autant que nécessaire. A noter que les différents fossés étaient secs, le niveau de la rivière Meuvette étant inférieur.
- Première enceinte (début XI è siècle) incluant le château, l'église et la basse-cour, avec 3 portes.
Tour carrée à Verneuil sur Avre:
Autre vue de ce rempart sans doute reconstruit et percé de deux caves.
La porte de château et ses deux poternes : dernière protection avant la tour.
Ouverture récente dans le rempart près de l'ancien château qui était situé à l'emplacement de l'actuel monument aux morts.
La porte aux Gadelais ou porte agazalaes, au nord-est, dans le prolongement de la précédente ouverte sur une voie rejoignant la voie romaine.
Mêmes vestiges côté extra-muros (accès par l'impasse aux Gadelais) :
Base de mur de rempart de la 1 ère enceinte dans le cimetière (intra-muros):
La porte de Rochefort (2), au sud, sortie du Bourg-Viel.
Vestige de rempart coupé pour laisser le passage de la rue de Verneuil. Epaisseur 127 cm :
- Deuxième enceinte (fin XI è siècle) : extension du Bourg-Viel au sud-est.
La porte du Perche, ouverte vers la Ferté-Ernaut (aujourd'hui la Ferté Vidame).
Tour sud. Propriété privée.
La porte de la Foulerie, ouverte sur l'étang, face à l'actuel pont qui n'existait pas encore.
La porte de Paris ouverte en direction de la Maladrerie, vers l'est, qui était un quartier mis à l'écart sous le nom de bordelli de brurollis. En effet on appelait au XII è siècle les baraques de lépreux : borde ou bordel (cabane de planche). Une tour de cette porte fut détruite vers 1950 pour améliorer la circulation rue de Paris (3).
Rempart entre la route de Senonches et la rue du camp:
Le même vu d'un autre angle. Le dénivelé est de trois mètres seulement mais il y avait autrefois un fossé:
Reste de la porte du Perche, dont la tour déborde sur le trottoir, près de la place du Petit Marché:
La porte de Tillières dont on devine la trace au 2 rue de Tillières (base en grison).
Vestige en grison de la base de la tourelle de la porte de Tillières.
Belle tourelle visible rue du Camp. Propriété privée:
Tourelle rue de la Friche. Les ouvertures ne sont pas d'époque.
Cette même tour vue du jardin:
- Troisième enceinte (début XIII è siècle), englobant les faubourgs de la Porte de Tillières et le hameau de Malepeine. Les fossés intérieurs sont alors comblés car inutiles.
La porte aux Renenards, sortie des quartiers nord que possèdent les moines du Prieuré. Il ne semble pas y avoir beaucoup de vestiges de cette enceinte pourtant plus récente. Une maison rue de Paris garde une portion de rempart avec des meurtrières.
Mur de l'ancien prieuré, le long de la promenade du même nom, près de la rivière:
Matériaux utilisés
La pierre utilisée pour les remparts était forcément celle que l'on trouve en abondance sur place : le silex, comme nous le constatons sur les portions existantes. Le silex était extrait de la terre des fossés, des champs ou de carrières dédiées. Un mortier de chaux scellait les silex disposés de façon dense. Les pierres les plus grosses étaient préférées.
Reste de rempart dans un jardin près de la rue du Camp . Epaisseur: 90 cm:
Contrefort en silex. Reconstruction pour solidifier un mur élevé. Face à la rue de l'étang:
Quelques éléments en grison sont visibles de façon assez rare et dispersés. Le grison était un matériau plus noble, pouvant être taillé de préférence dès son extraction car devenant très dur ensuite. Il était en principe réservé aux bases de murs, aux contreforts, aux entourages de portes et ouvertures, et surtout aux édifices les plus nobles. Le grison est retrouvé un peu partout dans les murs des maisons anciennes de Brezolles et les murs des jardins, de façon aléatoire, sans doute par réemploi de vestiges du château ou des fortifications.
Grison dans l'angle du mur de l'ancien cimetière :
La brique ne semble pas avoir été utilisée et si l'on en trouve, cela montre que le mur qui en contient des blocs a été refait, suite à une destruction ou un effondrement naturel.
Les remblais disposés intra-muros pouvaient faire office de chemin de ronde pour les soldats chargés de la surveillance et de la défense de la ville. Peut être par endroit y a t-il eu un chemin de ronde en bois, l'épaisseur insuffisante des murs ne permettant pas de faire autrement.
Les rues de Brezolles gardent le tracé d'origine.
Comme on le voit, le château était localisé au bout du village et servait de point de départ pour une mise en valeur du terroir. La vallée de la Meuvette, inondable, forme une barrière naturelle empêchant toute extension au-delà.
Brezolles était une ville entièrement fortifiée. Elle pouvait être facilement contournée pour prendre toute direction. Les portes ne sont franchies que par leurs résidents ou les gens qui viennent y commercer, ce qui les oblige à acquitter un droit de péage sur les marchandises transportées.
Ainsi, la seigneurie comme le clergé ont bien perçu l'intérêt de stimuler et de profiter de cette expansion économique : ils favorisent les défrichages et la construction de nouveaux villages, et ils investissent d'autant plus dans des équipements augmentant les capacités de productions (moulins, pressoirs, fours, charrues...) et de transports (ponts, routes...) que ces infrastructures permettent d'augmenter les revenus banaux (4), de prélever péages et tonlieu... De fait, l'augmentation des échanges entraîne la multiplication des routes et des marchés (le réseau qui se met en place est immensément plus dense et ramifié que ce qui pouvait exister dans l'Antiquité). Ces ponts, villages et marchés se construisent donc sous la protection d'un seigneur qui est matérialisée par une motte castrale. Le pouvoir châtelain filtre les échanges de toutes sortes qui s'amplifient à partir du XI è siècle. On voit de nombreux castra implantés sur les axes routiers importants, sources d'un apport financier considérable pour le seigneur du lieu.
Actuellement, vous pouvez encore emprunter les voies de contournement des anciens remparts : si vous partez du lavoir près de l'étang, longez le canal de la flotte (promenade du prieuré) et remontez à droite la rue du vieux lavoir. Continuez le début de l'avenue du Général de Gaulle, poursuivez à droite par la rue de la Friche puis la rue du Camp. Tournez encore à droite route de Senonches puis tout droit rue de la Bahine. Terminez par la rue de l'étang.
Aujourd'hui, le nom de certaines rues rappelle ce passé : rue du camp, ruelle des remparts, rue et place de la Mare aux Tourelles. Le tracé des rues et les divers rétrécissements qui gênent le croisement de nos véhicules sont autant de témoins de cet historique. Plus récemment, l'école élémentaire de Brezolles a été baptisée Ecole des Remparts.
Nous remercions les brezolliens qui ont accepté de nous faire découvrir les trésors cachés de notre cité.
Jean-Luc JOUANIGOT
Article remanié paru dans le Bulletin Municipal de décembre 2009.
(1) la voie romaine à Brezolles : le tracé retenu dans le livre de madame François-Dive est aujourd'hui controversé. La voie viendrait de l'est (Escorpain) par le Petit Chêne, passerait par la rue de Paris pour continuer par la route de Beauche. Elle ne passerait donc pas par la promenade du Prieuré le long du canal de la Flotte. Un point sur la question est prévu lors des journées du patrimoine 2010 au grenier à sel.
(2) Près de la porte de Rochefort aujourd'hui disparue se trouvait le fossé de l'enceinte. M. Pierre Morin se souvient, lors de travaux de creusement derrière le magasin Mutant, d'avoir trouvé à quelques mètres de profondeur des restes de mortier de chaux en couches successives (restes de chantier médiéval) et de morceaux de bois calcinés (restes d'incendies de Brezolles déposés dans le fossé?)
(3) un dessin de cette porte figure dans le livre de madame François-Dive : Brezolles mille ans d'histoire, page 59. Disponible à la bibliothèque.
(4) la banalité est le monopole du seigneur sur ses vassaux pour l'utilisation payante de certains équipements.