Souvenirs d'un STO, 1943-1945
INTRODUCTION
Madame Bernadette Ségelle (née Tréhorel), habitante de Brezolles, Eure et Loir, nous contacte car son intention est de faire connaitre l'histoire de son mari Paul, décédé en décembre 2013 à l'âge de 91 ans. Elle possède un petit carnet contenant le récit manuscrit de Paul, parti, ainsi que tant d'autres jeunes gens pendant la guerre, pour le STO.
Ce petit carnet retrace le voyage de Paul Ségelle, entre le 18 juin 1943, lorsqu'il est parti de Brezolles pour la Pologne, afin de travailler dans une usine de fonderie (sans doute d'armement) à Malapane (aujourd'hui Ozimek), jusqu'à son retour par des chemins pour le moins détournés le 27 juillet 1945, après avoir été libéré par les russes le 23 janvier 1945.
Le service de travail obligatoire (STO) consista, pendant l'occupation de notre pays par l'Allemagne nazie, en la réquisition et le transfert vers l'Allemagne ou les pays conquis, de centaines de milliers de jeunes gens souvent contre leur gré, afin de travailler et participer à l'effort de guerre allemand. Il s'agissait de compenser le manque de main d'œuvre après l'envoi de soldats allemands sur le front russe. Contrairement à d'autres pays d'Europe, la France disposait de ses propres lois dictées par le gouvernement de Vichy pour requérir les travailleurs. Après l'échec des départs « volontaires » pour l'Allemagne, le recrutement forcé est instauré en août 1942. La mairie de Brezolles a fourni une liste de personnes destinées au STO (information confiée par M. Morin P.), ce travail se substituant au service militaire. Le recrutement se faisait par classes d'âge entières : les jeunes gens nés entre 1920 et 1922 (classes 1940, 1941 ou 1942) furent sollicités pour partir travailler pour l'Allemagne, ce qui constituait un substitut au service militaire qu'ils n'avaient pu effectuer. Chaque jeune gens avait une carte de STO destinée à être présentée lors de tout contrôle. Certains se sont soustraits à ces convocations.
Paul Ségelle est né le 21 avril 1922 à Saint Lubin de Cravant où il vivait. Il s'est trouvé donc appartenir à la « classe 42 », la plus nombreuse, ce qui l'a conduit à se trouver sur la liste des travailleur devant partir ce 18 juin 1943 vers l'inconnu, avec ses camarades.
Nous avons retranscrit in extenso ce manuscrit, en n'apportant qu'un minimum de commentaires. Seules quelques fautes d'orthographe ont été corrigées, notamment le nom des villes. Quelques notes (en bleu) sont des informations d'ordre historique éclairant le propos. Les images sont rajoutées par nos soins pour illustrer quelques lieux cités.
Il n'est pas de notre ressort d'apporter un jugement à ce texte. Il a été écrit par un jeune de 21 ans, sans doute clandestinement, ce que peu ont fait. A cette époque la censure des courriers existait. Il a relaté des évènements extraordinaires avec une grande modestie, son périple subit à travers une Europe en guerre, minée par les pénuries, pour aller travailler dans des conditions pénibles. Le lecteur pourra peut-être ressentir une certaine frustration du fait du manque d'informations concernant son travail ou son ressenti au moment des faits. La deuxième partie de son récit, après sa libération par les russes est moins fournie. Il ne précise pas qu'il a dû beaucoup marcher et subir les aléas d'un retour toujours retardé par les disfonctionnements des transports (voies ferrées et ponts détruits) comme par exemple l'annulation de l'embarquement au port d'Odessa.
Ce texte constitue néanmoins un témoignage brut de notre histoire, et mérite de figurer dans un travail de mémoire collective.
Paul Ségelle a gardé quelques contacts avec ses camarades du STO, il a relativement peu parlé de cette période de sa jeunesse et n'a pas cherché à retourner voir les lieux de son périple. Il fut par la suite ouvrier agricole (notamment chez M. Vanhard) et s'est marié avec Bernadette en octobre 1949. Les deux sœurs de Bernadette ont en fait épousé deux autres camarades du groupe du STO: Jacques Marzolf de la Puisaye, et Robert Baudoux de Reims, avec qui il a donc gardé des contacts malgré la distance.
L'état français lui a accordé un statut particulier de déporté, ainsi que l'annulation de son devoir de service militaire.
Ci-dessous, une carte des trajets empruntés. Le tracé représente un total de 4800 km environ. En annexe figure un tableau des villes traversées dans l'ordre chronologique, avec le nom actuel lorsqu'il a été modifié après la guerre, notamment pour la Pologne.
Jean-Luc Jouanigot et Blandine Guettier
Ci-dessous le retranscription littérale du manuscrit.
Souvenir de mon voyage à travers l'Europe
1943-44-45
Belgique Hollande
Allemagne Malapane -Magdeburg - Alversdorf
Pologne Czestochova
Russie Ukraine : Staroconstantinow
Vendredi 18 juin 1943
10h. Départ en auto de Brezolles pour Dreux. C'est monsieur Legoupil (taxi) qui nous conduit ainsi que deux camarades, Bernard Bonneau et Lucien Prévost. Le voyage va très bien.
12h30. Nous arrivons à Dreux. Là je retrouve 3 autres camarades : Jacques Marzolf, Gaëtan Seugé et Georges Dumuids. Nous montons dans le train en direction de Paris.
14h. Arrivée à la gare Montparnasse, d'où nous sommes dirigés en autobus vers la gare de l'est. Nous montons dans le train. Avant le départ, nous touchons des vivres, pains, saucissons.
17h15. Le train démarre vers l'Allemagne. Le départ est assez mouvementé. Nous passons à Compiègne et passons la frontière belge pendant la nuit.
Samedi 19 juin 1943
1h. Traversée de la frontière belge, il pleut sans arrêt.
7h48. Nous atteignons la frontière allemande que nous passons à Herstal. Visite des bagages de quelques-uns.
9h30. Arrivée à Aix-La-Chapelle. Nous sommes conduits dans une caserne pour prendre le repas du midi. La caserne est éloignée de la gare et il pleut sans arrêt. Le repas est plutôt maigre. Nous recevons la modeste somme de 2 M 30, dite frais du voyage.
13h. Après avoir regagné la gare, nouveau départ.
15h30. Traversée du Rhin. Nous arrivons à Duisbourg. La ville a beaucoup souffert des bombardements (1) ainsi que les villes que nous traverserons d'ailleurs par la suite.
(1) : Duisburg comme Dortmund ont subis les bombardements des alliés en mars, avril et mai, lors de la bataille de la Ruhr (de mars à juillet 1943).
16h25. Gelsenkirchen, Dortmund
21h30. Hanovre
Dimanche 20 juin 1943
3h30. Descente en plein bois dans un camp de triage à Postdam, à 20 km d Berlin. Là on nous sert deux repas : soupe, beurre, saucisson. La soupe est aux choux et les trognons sont avec.
18h. Quittons le camp direction Berlin que nous atteignons à 19 h. Après avoir changé deux fois de train et égaré deux camarades rejoints peu de temps après. Une demi-heure après nous sortons de la gare non sans avoir rangé nos bagages dans un réduit de la gare. Pendant notre sortie en ville nous avons pu déguster la bière de Berlin dans un grand café.
24 h. Départ de Berlin, direction inconnue. Nous voyageons avec un convoi de troupe.
Lundi 21 juin 1943
Liegnitz. (Legnica, Pologne. Ci-dessous sa gare en 1930) Nous sommes toujours avec le convoi de troupe, pas très rassurés d'ailleurs car nous craignons de nous faire mitrailler.
11h40. Brieg
12h. Oppeln. Tout le monde descend. Nous nous rendons de nouveau dans un camp de triage situé à l'autre bout de la ville. Nos bagages laissés à la gare sont amenés avec une remorque et un tracteur. Après bien des péripéties, nous touchons une soupe et du pain. Nous devons coucher sur le parquet ce qui devait être normal par la suite. Première nuit passée en Allemagne hors du train, nous sommes éreintés.
Mardi 22 juin 1943
9h. Rassemblement. Nous attendons sous un soleil torride notre destination. Il fait tellement chaud que le beurre fond dans ma musette et dans celle du copain. Nous sommes obligés de le jeter ; cela nous fait de la perte car nous en avons très peu.
2h30. Nous sommes enfin triés, on se croirait à une foire. Chacun prend ce qu'il a besoin. Je me trouve avec les copains dans un groupe de 10. C'est là que nous trouvons ceux qui devaient devenir plus tard nos camarades de chambre. Il s'agit de Pionnier Guy, Mangardin André, Bardoux Robert, Bataille Robert et Menu Roger, Nicolas Maurice.
18h30. Nous prenons le train à la gare d'Oppeln où nous avons été conduits en tracteur.
19h, arrivée à Malapane. Terminée la première partie du voyage. Nous sommes partagés en groupe de 14 dont chaque groupe forme une chambre. Nous logeons baraque 4 chambre 1. Le couchage est plutôt sommaire : une paillasse en papier, un polochon de même tissu. Nous nous installons comme nous pouvons ; nous passons notre première nuit.
Mercredi 23 juin 1943
Nous restons sans rien changer à notre installation pour coucher. Tout doucement notre première matinée se passe en correspondance. Nous sommes assis par terre et un volet nous sert de table, ou une valise. Ce n'est pas très confortable et il faut s'habituer à tout. Notre adresse sera donc pendant 19 mois :
Gemeinschaftslager Malapane Nord Kr Oppeln QS (9A) Barake 4. Stube 1.
A midi rassemblement. Nous nous rendons à la cantine pour toucher la soupe. On distribue un ticket à chacun. Nous avons bien du mal à la manger car ils ont une habitude de tout mélanger. Voilà ce que l'on nous sert : pommes de terre avec une mauvaise sauce et de la salade au sucre, le tout ensemble. Nous touchons 15 gr de margarine et 375 gr de pain. C'est le commencement de la vie en Allemagne.
Jeudi 24 juin 1943
Nous passons une visite médicale. Deux sont malades et vont être réformés. Nos provisions de route commencent à baisser et la ration que nous touchons n'est pas très forte.
Vendredi 25 juin 1943
A neuf heures du matin, l'interprète de l'usine nous rassemble et nous conduit dans la cour de l'usine où nous attendons devant un bureau pendant deux heure jusqu'à ce qu'on veuille bien s'occuper de nous. Enfin ces messieurs sont prêts. C'est la distribution des cartes de pointage et nous recevons nos affectations. Je suis envoyé à la fonderie au mélange de sable. Ainsi se termine notre première journée à l'usine.
Samedi 26 juin 1943
Première journée de travail. Nous nous rendons à la fonderie, lieu de rassemblement. Là nous attend une heure avant que l'on daigne s'occuper de nous. Enfin l'on vient nous chercher pour nous conduire au contremaitre avec lequel je devais toujours travailler par la suite. Je commence par décharger un wagon. L'interprète vient nous chercher pour que nous fassions une demande de bleus de travail. Je finis ma journée à une machine pour les obus (?). Il a fallu faire la navette au moins dix fois d'un bureau à l'autre. Avant de quitter l'usine, nous sommes partagés en deux équipes, une de jour et une de nuit.
Lundi 28 juin 1943
Je travaille de nuit. Il est 17h30 quand j'arrive à l'usine. Le contremaitre me met avec un polonais à une machine. La première nuit est très dure car j'ai toujours envi de dormir. Plus tard, je devais changer de machine pour travailler avec un allemand et ensuite avec un prisonnier russe, avec l'un comme avec l'autre, je devais être cent fois plus heureux.
Mardi 29 juin 1943
Il est 5 heures, nous sortons de l'usine éreintés, et une envie de dormir formidable. C'est la première nuit que l'on passe.
Mercredi 30 juin 1943
Le camarade Dumuids, externe reste à la baraque. C'est sa dernière journée de travail.
Samedi 3 juillet 1943
Après avoir quitté le travail à 5 heures du matin, nous reprenons à 1h ¼ l'après-midi pour jusqu'à 8 h le soir. Ainsi se termine ma première semaine de nuit.
Dimanche 4 juillet 1943
Tout le monde va aux douches. Ce n'est pas un luxe, nous sommes noirs comme des charbonniers.
Lundi 5 juillet 1943
Je reprends le boulot de jour de 6 h à 5 h 30 du soir avec une demi (h) d'arrêt à 9 heures et ¾ (h) à midi pour manger la soupe
Mercredi 7 juillet 1943
Dumuids est envoyé à l'hôpital d'Oppeln.
Samedi 10 juillet 1943
13 h 30 nous sortons de l'usine pour les douches, la cantine et ensuite à la chambre car il faut faire la lessive.
Dimanche 11 juillet 1943
Ravitaillement. Cette fois nous avons décidé de nous éloigner de Malapane. Nous partons à 6 km au milieu des bois dans un petit village assez original. Les fermes et maisons s'alignent en deux rangées de chaque côté de la route, qui elle-même est séparée dans toute la longueur du village par un petit ruisseau. Nous ne devons pas regretter notre déplacement car nous sommes bien ravitaillés tous les quatre.
Lundi 12 juillet 1943
La journée du lundi se passe sans incident, mais le soir nous reprenons le travail de nuit
Mercredi 14 juillet 1943
Dumuids rentre de l'hôpital. Il reprend le travail. Le lundi suivant juste 1 heure.
Dimanche 18 juillet 1943
Nous retournons au ravitaillement mais cette fois nous sommes cinq, aussi nous rapportons nos 40 kg de patates, du pain du gâteau.
Lundi 19 juillet 1943
Dumuids qui devait reprendre le boulot vient avec nous, mais, pris d'une crise d'albumine il retourne au camp et doit aller à l'infirmerie.
Jeudi 14 octobre 1943
Je reprends mon carnet. La température change, il fait froid. Premières gelées et premiers flocons de neige : c'est l'hiver qui approche à grands pas. Dumuids est revenu parmi nous et va beaucoup mieux. Il doit travailler dans le camp. Les colis arrivent toujours et ils sont bienvenus car la nourriture est plutôt maigre.
Lundi 18 octobre 1943
Quatrième anniversaire de notre départ. Il est marqué par une triste nouvelle, la mort de notre camarade Jean Trichet souffrant d'une écorchure au bras et ayant une forte fièvre. Nous fîmes venir le médecin qui le fît transporter à l'hôpital. 12 heures après il s'éteignait muni des derniers sacrements.
Jeudi 21 octobre 1943
Nous allons à l'enterrement à Oppeln par le train puis nous gagnons le cimetière, le corps ayant été déposé la veille dans une chapelle. Le cimetière est situé à 5 km de la ville à Albendorf. Nous y sommes rendus à pied avec beaucoup de peine pour trouver le chemin. Nous faisons une quête au camp qui rapporte plus de cent marks pour les couronnes. Ci-dessous son adresse éternelle :
Jean Trichet N° 19
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A partir de ce jour les faits se poursuivent sans changement jusqu'au 6 juin 1944, jour du débarquement anglo-américain en France, car à partir de ce jour, plus de lettres et plus de colis. Nous sommes obligés de recommencer à aller au ravitaillement. Je vais avec Lucien travailler à 6 km chez notre contremaître Johann Qitlik, car il nous donne de patates. C'est d'ailleurs pour manger que nous y allons.
Après le faits se poursuivent jusqu'au 19 janvier. L'usine commence à ralentir, manque de main d'œuvre.
Samedi 20 janvier 1945
Ma dernière journée de travail à l'usine de Malapane, nous travaillons le matin une heure et vers dix heures nous nous sauvons tous avec les copains. Nous passons aux douches. Le gardien nous annonce que les troupes russes sont à Loben (Lubliniek), c'est-à-dire à 23 km. Le bruit du canon se rapproche. Les prisonniers russes et anglais sont évacués. Dans l'après-midi les derniers évacués quittent le village. Nous tous les français nous restons dans nos baraques.
Dimanche 21 janvier 1945
Personne ne travaille plus à l'usine et nous attendons les évènements. Si nous voulons manger, il nous faut éplucher les patates. C'est ce que nous faisons, mais nous ne pouvons terminer car la police nous sort des cuisines et on se camoufle dans notre baraque car la mitraille se rapproche
Lundi 22 janvier 1945
Le feu d'artillerie redouble de violence et l'armée russe attaque le pays. Nous voyons la libération arriver à grands pas. Vers deux heures de l'après-midi, nous quittons la baraque car la bataille est dure. Nous partons vers un petit village situé à 6 km, Eichammer. Nous couchons tous les quatre dans une école : Bernard Bonneau, Lucien Prévost et Jacques Marzolf, car notre copain Gaëtan Seugé nous a quitté.
Mardi 23 janvier 1945
Le grand jour de la libération à 6 heures du matin, l'armée russe arrive dans le village : fini le travail. Un officier russe nous fait évacuer du front et nous dirige vers un petit village : Klein küchen.
Mercredi 24 janvier1945
4 heures réveil. Nous allons boire le café dans une maison voisine où nous installons notre lit et nos bagages. Nous faisons des patates avec des poules.
Jeudi 25 janvier 1945
La vie continue tranquille. Les copains tuent deux jeunes cochons que ramenons dans une voiture de gosses, car nous sommes 58 hommes à manger. Il ne faut pas faire que de nous en promettre. Et puis je continue en mettant seulement les noms des villages traversés vers Tochentochau.
Tempelhof, Klein-Küchen, Tourraven, Kodov, Guttentag, Lober, Tochentochau.
Arrivée le 29 janvier à 14 heures après avoir fait environ 120 km dans la neige. Là nous devions y passer 4 mois.
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Le 8 mai rassemblement dans la rue Garibaldi. Nous prenons le chemin de la gare. Nous montons dans le wagon 16 et nous attendons jusqu'au lendemain ainsi. 8 heures le départ. Voici les villes traversées ; Kielce, Ostravice, Zalezu, Gorzyckie.
13 h 15 nous passons la Vistule sur un ponton en bois. Sandomierz, rodzwanow.
Nous changeons de voie ; nous prenons la voie russe : Zurawica, Przemysl, Zarame.
Nous continuons la route et passons la frontière russe à 1 heure : Lemberg, Tarnopol.
Départ à 5 heures, passons en Ukraine : Proskirow puis nous bifurquons et arrivons l'après-midi à Staro-Konstiantinov. Là nous restons dans le camp un mois environ.
Là nous avons tous les plaisirs de la pêche et nous sommes très bien nourris. Nous avons le marché à côté. Nous vendons un peu pour avoir des roubles. La vie n'est pas trop chère. Il y avait deux jours que nous étions là quand il y a eu des réunions de faites pour tâcher de nous retrouver par départements. C'est là d'ailleurs que je devais retrouver un de mes meilleurs camarades d'école et nous étions ensemble depuis Tochentochau et nous avons fait le voyage ensemble. Nous étions dans le même camp depuis 4 mois : c'est Michel Coppin. Depuis il est rare que nous passions une journée sans nous voir. Bernard Bonneau a retrouvé un cousin du côté de son oncle. Lucien et Jacques ont retrouvé un copain de La Puisaye Charles Begoe, un prisonnier de guerre. J'ai touché une paire de souliers car j'étais vraiment nu pieds.
Peu à peu les départs s'organisent et nous partons au 4è convoi le 28 à 6 heures du soir pour la gare. Fini pour Odessa car il n'y a pas de bateaux.
Le 29 à 3 heures du matin le train s'ébranle encore une fois direction l'Allemagne. Villes traversées pendant le voyage : Chepetosko, Slavouta, Rosnow, Kreverce, Holoby, Kovel, Booest, Litowsk.
Départ à 14 heures et passons la frontière polonaise : Bialapold, Lukow, Sielce, Minsk, Masiniecki, Varsovie, Kutno, Pacykow, Swarzedz, Posnan, Buk, Opalenica, Zbarzyn, Wladawe.
Nous repartons vers 14 heures et traversons l'Oder à Francfurt sur Oder à 17 heures.
Nous continuons par Rosengarten, Farslenwalde, Erkner. Nous arrivons dans une gare de la banlieue de Berlin où nous passons la nuit.
Magdeburg, ville des usines Krupp fut dès fin 1940 l'objet de bombardements aériens britanniques, mais c'est en janvier 1945 que le centre est détruit à 90%.
5 juillet. Nous sommes réveillés à 5 heures du matin par le clairon. Le chef de compagnie nous donne l'ordre de descendre du train. Des camions russes nous attendent pour nous diriger vers Magdeburg. Le voyage s'effectue à merveille. Nous passons la banlieue berlinoise qui a beaucoup souffert. Nous arrivons dans une caserne à Magdeburg. Nous couchons dans un ancien garage. Là nous attendons un nouveau départ. Je reprends car au lieu de départ nous devons encore séjourner un moment. Nous devons loger un mille dans un garage ; aussi il faut faire de la gymnastique pour sauter l'un par-dessus l'autre. Nous devons coucher sur le ciment après avoir récupéré un lit métallique. Nous couchons avec Jacques. Nous ne sommes pas au large car c'est un lit d'une personne ; car depuis 6 mois nous couchons ensemble. Lucien et Bernard couchent par terre. Mais nous y restons que quelques jours car Michel Coppin a construit une baraque en planches en plein air et nous allons nous installer à côté de lui, tant était mauvais à respirer l'air au garage, car les cabinets sont derrière et il n'y a pas de carreaux et il nous fallait respirer cet air parfumé.
Nous sommes onze. Bernard, Lucien, Jacques et moi, plus des copains du Nord et du Tarn et Garonne, Jacquart Robert, Jacquart Joseph, Bisette Henri, Michel Charlet, Bequier Roger, Sourmejane René, Louis Bourdonnet.
Nourriture très maigre vu le nombre imposant que nous sommes : 25 mille environ.
Aujourd'hui 13 juillet un convoi de notre camp précédent est soi-disant parti. Nous touchons des conserves allemandes et du sucre, et une boule de pain à deux selon la grosseur. Enfin il faut patienter.
14 juillet nous allons en ville, sept camarades ensemble, visite de ce qui fut Magdeburg, car la ville est presque entièrement détruite par les bombardements. Nous pourrons acheter des carottes, du thé et des pommes de terre ; aussi nous profitons pour faire des frites auxquelles tous les camarades font honneur car il y a longtemps que nous n'en n'avons pas mangé. Nous achetons également des cartes postales. Au retour nous nous lavons dans l'Elbe. Mes camarades vont même se baigner, mais il faut être prudent car une dizaine de français y sont déjà restés.
15 juillet : premier départ de notre détachement. Tous les ménages plus deux compagnies ( ?).
16 juillet : rien à signaler, nous attendons notre tour.
17-18-19 juillet : les départs se poursuivent. Nous attendons notre tour qui j'espère va venir sous peu, car nous sommes plus que 8 mille.
20 juillet : un convoi de lorrains qui était avec nous à Czestochowa arrive et nous passe sous le nez.
27 juillet : je retrouve un prisonnier de chez nous, Roger Bidond
28 juillet : 5 heures réveil. Nous quittons le camp de Magdeburg pour faire 6 km à destination de la gare. 11h20 nous quittons la gare dans des wagons de voyageurs qui n'ont plus de glaces. Eilsleben, Dolpke. Nous descendons où nous attendent les camions russes qui nous emmènerons vers une autre vie. 7 h nous montons dans les camions russes pour être emmenés vers un camp de transit anglais. 7h45 nous passons en zone anglaise. Arrivée au camp vers 8 heures. Nous touchons des cigarettes et des conserves biscuits de soldats. Maintenant nous attendons un nouveau départ.
24 juillet à 7 h : nous quittons Alversdorf en camion conduit par des chauffeurs anglais. Au départ notre camion à une panne d'une ½ heure environ. Après ce n'est plus qu'une course vertigineuse grâce à l'adresse du chauffeur. Arrivée à la gare de Rothemfede Wolfsburg à 9h35 où nous embarquons 5 minutes après dans les wagons. Départ à 11 heures. Villes traversées : Lehotte, Hanover (14h) : la ville n'est plus qu'un amas de ferrailles et de briques, passage que nous avions fait il y a deux ans.
15h30 Staslthagen. Nous touchons des gâteaux et du beurre ainsi que du café noir. Départ à 16 heures. 17 h : Minden, Lengouk. Nous passons un tunnel assez long. Münster. 21 h40 Dülmen, Haltern. 23 h 45 Dorsten, Wesel.
25 juillet. Traversée du Rhin. 2h15 Geldern. 3h15 à 4 h nous arrivons à Kervelaer pour une sorte de triage ou plutôt de recensement. Nous sortons en ville où nous pouvons déguster quelques bières, voilà 6 mois que nous n'en avions pas bu. Maintenant nous attendons le départ vers la Hollande puis la Belgique et la France. Départ de Kewelaer à 11 h.
En 1945, le Veld'Hiv sert de dortoir aux prisonniers libérés. Précédemment à la libération se sont les « collabos qui y sont parqués. Rappelons ici le triste évènement des 16 et 17 juillet 1942 : c'est l'opération "vent printanier" qui consistait en la rafle des juifs étrangers et apatrides parisiens avant leur déportation.
26 juillet direction la Hollande. Passage à Eindhoven où nous touchons le café, biscuits et une cigarette. Départ à 5 heures. Arrivée en Belgique à Achel. 6h30 Hasselt, Mischat, Malines, Bruxelles. Nous arrêtons en banlieue pour diner avant de regagner la France. Souvenir inoubliable que cet accueil de la Belgique. Nous avons chacun 4 tartines de pain blanc, 2 bols de café et une poire, 5 cigarettes et du savon. Au milieu du repas nous nous levons. Un officier belge commande le garde à vous pour entendre la Marseillaise qui se termine aux cris de vive la France, vive la Belgique. Puis nous repartons vers la France à midi. Villes traversées : Bouzingen, Jurbises, Mons 15h30, Jemappes 14h45. Entrée en France à 15h20. : Blanc-Misseron, Valenciennes ; nous descendons et sommes partagés. Nous partons immédiatement pour Paris ou plutôt vers un camp de triage. Quitté valenciennes à 5 h : Montigny, Douai, Arras, Langueau. Nous arrêtons pour manger : pain blanc, confiture et Viandox. Creil, Saint Denis.
Arrivée à Paris à 1 h1/2 du matin. Nous sommes emmenés par autobus jusqu'au vélodrome d'hiver où nous mangeons ; puis nous repartons pour le centre d'accueil Michelet où nous passons aux douches : désinfections, visite médicale, radio, prise de sang, puis nous touchons mille francs, carte d'alimentation, carte de déporté, carte de textiles.
Nous repartons à 9h10 pour la gare Monparnasse, Dreux puis Brezolles. Fini le grand voyage.
Fait à Paris le 27 - 7 - 45
Paul Ségelle
Adresse de mes camarades pendant mon séjour en Allemagne, Pologne, Russie.
Allemagne : camarades de chambre.
Pionnier Guy, 85 rue Flechembault. Reims. Marne.
Bardoux Robert. Villiers aux Nœuds par Reims. Marne.
Roboulle Robert. Chamery par Reims. Marne.
Pelletier Jean. Rilly la Montagne par Reims. Marne.
Menu Roger. Rilly la Montagne par Reims. Marne.
Mongardien André. Sermiers par Reims. Marne.
Nicolas Maurice. Sermiers par Reims. Marne.
Bonneau Bernard. Le Harrier par Brezolles. Eure et Loir.
Marzolf Jacques. Les Tartres par La Puisaye. Eure et Loir.
Georges Dumuids. La Puisaye. Eure et Loir.
Gaëtan Seugé. La Saucelle. Eure et Loir.
Pologne : camarades de chambre.
Jean Adrien Noyelles. Les Sectins par Watignés. Nord
Jacquart Joseph. 27 rue des Comtesses. Seclin. Nord
Jacquart Robert. Annsellin, 36 rue Pasteur. Nord
Choulet Michel. Graville par Roeux. Pas de Calais.
Henri Bisette. Ligny Thilloy par Bapourme. Pas de Calais.
Quintin Maurice. Barastre par Bathincourt. Pas de Calais.
Lefrancq Albert. Barastre par Barthincourt. Pas de Calais.
Corroyer Michel. Humbercamps par l'Arbret. Pas de Calais.
Aquenier Marceau. 50 rue du Pont. Beaugency. Loiret.
Sourmejane René. 16 rue de la Révolution. Castelsarrasin. T et G.
Laffenayrie André. 29 rue de la Révolution. Castelsarrasin. Tarn et Garonne.
Bourdonnet Louis. Les Suagues par Laffitte. Tarn et Garonne.
Bequier Roger. Garganvillar. Tarn et Garonne.
Germond Pierre. Villiers le Morhier. Eure et Loir.
Moutondain Roger au vieux Landon Juvigny. Eure et Loir.
Regis Jainex. Pechaudun par Cirq Touls. Tarn.
Russie. Camarades.
Bordes Alexandre. Segur le Château. Corrèze
Audignier André. 1 rue des Barrières. Chauvigny. Vienne
Fait à Magdeburg le 8 juillet 1945
Supplément extraordinaire. Capitulation inconditionnelle de l'Allemagne.
L'agence Reuter annonce qu'aujourd'hui 7 mai 1945 à 14h41 dans une petite localité où se trouvait le quartier général de Eisenhower à Reims, a été signé la capitulation inconditionnelle de l'Allemagne en présence de tous les représentants alliés au nom du général Eisenhower, le général Bedell-Shmitt au nom de l'armée française, le général François Sevez au nom de l'Armée Rouge, le général Ivan Sousloparov, le général Jodl a signé au nom de l'Allemagne l'acte de capitulation. Ensuite le général Eisenhower a reçu le général Jodl et l'amiral Fridbourg et leur demanda s'ils connaissent les conditions de la capitulation et si elles seraient réalisées. Jodl et Fridbourg répondirent qu'ils les connaissaient et qu'elles seraient réalisées à propos de l'acte de capitulation. Le ministre des affaires étrangères Herm Scheverin von Rrosingk donna au nom de l'amiral Donitz la proclamation au peuple allemand à savoir que l'Allemagne capitule sans conditions devant les alliés. Le général Gustave Jodl annonça que la situation actuelle de l'armée et de la nation allemande se trouvait sous la dépendance totale des vainqueurs. Le journal polonais Flos Novak (?)
Recopié à Magdeburg le 8 juillet 1945
Inscrit sur la 3ème de couverture :
Paul Ségelle
Brezolles Eure et Loir
Adresse en Allemagne :
Barraque 2 Stube F
Gemeinschaft lager
Malapane Nord
Kr Oppeln