La fondation de Brezolles
Le cas de Brezolles correspond à un schéma classique du début du XIè siècle. Des particularités locales sont ici rappelées pour comprendre la naissance de notre village. D'abord le choix du site proche de la rivière et près d'un carrefour de deux voies romaines, puis la proximité de l'ennemi normand avec la nécessité de se protéger. La féodalité a joué ici un rôle typique avec un pouvoir seigneurial local tout puissant relayé par l'influence des moines.
Le legs gallo-romain.
La civilisation romaine a posé son empreinte dans notre région comme le montre la présence de voies dites « chemins perrés » ou « de César ». Brezolles était un carrefour entre deux grandes voies romaines : l'axe Paris/Mortagne d'une part, et l'axe Chartres/Condé-sur-Iton d'autre part. Ces voies furent certainement un atout, notamment pour l'exploitation du minerai de fer dans la région par les gallo-romains, la forêt fournissant le charbon de bois nécessaire, le grison (1) étant le minerai qui était fondu dans des bas fourneaux (2). En contre partie ces voies présentaient aussi un inconvénient, les incursions « barbares » étant facilitées.
Des noms de lieux ont une racine latine avec une évolution gauloise, germanique, normande ou franque.
Exemple latin: Autricum/Carnutes/ Chartres
Senonchia castrum/Senones celvi (marécages)/Senonches
Certains noms sont purement gallo-romains :
(Belsa=clair(déboisé, cultivé)/Beauce
D'autres sont gaulois : Beauche= terre boueuse
Le ravin de la Friche, entre le parc St André et la station d'épuration : ancienne voie romaine rendue à la nature.
Le Haut Moyen-Âge (VIè-Xè siècles)
Les petits groupes humains dispersés ont connu de nombreuses incursions normandes destructrices. Nous retiendrons une des dernières que dirigeait le chef viking Hròlfr (Rollon). En 911, il remonte l'Eure et assiège Chartres pendant 3 mois. L'évêque parvint à faire venir les secours nécessaires en juillet. Cette défaite de Rollon à Chartres (7000 morts) semble être la cause immédiate de ce qu'il est convenu d'appeler le « traité de Saint-Clair-sur-Epte » qui aurait eu lieu en automne 911. Les Normands obtiennent de Charles le Simple l'autorisation de s'installer dans un certain périmètre de la Neustrie (future Normandie). L'Avre est la limite sud de ce nouveau duché. Le comte de Rouen se convertit au christianisme et s'imprègne de la culture franque. La paix ne sera que provisoire. Les hostilités reprennent entre Richard 1er, duc de Normandie (942-996) et Thibault le tricheur, comte de Chartres (940-977) dont dépendent les seigneurs du Thimerais. Des forteresses sont édifiées de part et d'autre de l'Avre pour se protéger. Le château de Senonches est déjà cité au IXè siècle (Senonchia castrum). Nous allons revenir sur le cas de Brezolles (castrum de Bruerolis).
A la fin du IXè siècle, la région est loin d'être déboisée (Perche=pays des grands arbres). Déjà des petits groupes de paysans (3) profitant d'une amélioration climatique défrichent une terre où les bruyères dominent en marge de petits bois de bouleaux, noisetiers et chênes. Les hêtres prennent une place grandissante. De nouveaux terroirs cultivés entourent ces lieux habités qui deviendront autant de villages et lieux-dits dont certains ont aujourd'hui disparu.
Nous arrivons à l'an 1000. A ce propos la peur de l'an mil n'est citée qu'en 1590 et est donc probablement une invention.
A partir de 1006, Chartres devient l'un des pôles du savoir en Europe chrétienne. Le comte de Chartres cherche à asseoir son autorité en s'appuyant sur la fidélité de ses vassaux, lesquels acquièrent rapidement une réelle autonomie.
A l'aube du IIè millénaire, trois nouvelles données transforment le destin de la France et de la région : l'avènement de la dynastie capétienne (Hugues Capet couronné en 987), l'accélération de la croissance occidentale, la structuration de la société féodale.
Bruyères dans les environs de Brezolles autrefois abondantes. Bruerolensis vicus signifie : lieu couvert de bruyères.
L'avènement du monde féodal.
Après les dernières incursions normandes, et après une crise politique et institutionnelle du vieux monde carolingien, la fin du premier millénaire connaît une relative période de paix et d'essor économique. Une nouvelle société capétienne fait son apparition. Les comtes, profitant de l'affaiblissement de l'autorité royale affirment leur domination sur toute la région (theodemerensis pagus= le Thimerais). Ils construisent des sites fortifiés ou castrum en dehors de toute autorisation. La petite et nouvelle aristocratie cherche à tirer profit de l'essor général en investissant les terres abandonnées ou vierges. Ces changements donnent naissance à une entité politique nouvelle, la seigneurie « banale » ou justicière. L'émergence de cette féodalité est favorisée par la dispersion des anciens droits régaliens (royaux), l'apparition de nouvelles élites locales et la mise en dépendance des communautés paysannes encore libres. L'instauration d'un site castral permet l'appropriation de l'ancien ban royal (pouvoir militaire sur les vassaux) et les paysans doivent acquitter une taxe périodique (souvent en nature) en contre partie d'une protection, ainsi que des droits de corvée ou de services au château. Le seigneur banal perçoit aussi des revenus de péage et des taxes sur les activités commerciales (foires et marchés). La petite paysannerie ruinée est alors facilement soumise au pouvoir renforcé du châtelain. Dans ce contexte, les alliances peuvent faire place à des guerres privées, les seigneurs devenant concurrents. Le chaos politique du royaume sera moins perceptible chez nos voisins normands où les pagi (au nombre de dix) sont organisés en principauté sous l'autorité d'un duc.
Les seigneurs de Brezolles : des personnages hauts en couleurs.
Sous le règne de Robert-le-Pieux (996-1031, fils d'Hugues Capet) un de ses vassaux, Ingulphe Ribault (ou Riboust), est seigneur de Châteauneuf, Senonches, Brezolles et Rémalard (vers 1000-1050). Il habitait surtout Dreux et, pour protéger ses terres, fait construire une forteresse avec sa basse cour sur le site devenant Bruerolensis vicus (allusion au lieu couvert de bruyères). Sur une butte dominant la rivière Meuvette, il fait creuser un fossé semi-circulaire dont la terre rassemblée au centre forme une motte. Une tour et une muraille de ceinture complèteront cette motte dite castrale. Une deuxième enceinte de murs cernés de fossés constitue la basse cour (futur quartier du Bourg-Viel).
Ingulphe Ribault fait ensuite construire en 1050 en l'honneur de Saint-Germain, évêque d'Auxerre une église en pierre et non en bois comme c'était l'habitude près de la forteresse dans la basse cour. Un des matériaux principaux, le grison, affleure le sol dans la région. Les vestiges en grison (deux arcs et un contrefort visibles actuellement sur le mur sud du chœur) semblent dater de la reconstruction de l'église après sa destruction au XIIè siècle. Le chœur est orienté vers l'est par convention, c'est à dire vers Jérusalem; la façade se situe à l'ouest. Le cimetière est lui, par coutume du coté de la rivière par rapport à l'église.
Ce seigneur appartient à une famille puissante, alliée des comtes du Perche, eux-mêmes ennemis des normands. Il exerce tous les pouvoirs : militaires, législatifs, judiciaires et fiscaux. Ce ne sont pas des personnages faciles : toujours prêts à tirer leur épée contre l'Anglais, appuyés par de terribles barons, combattants querelleurs, ne ménageant ni le roi de France, ni surtout leurs voisins.
N.B. Avant 1150, il n'y avait pas de blason. Seule une enseigne permettait de reconnaître un groupe de combattants.
A sa mort, Ingulphe laisse quatre enfants. Intéressons-nous à deux d'entre eux. D'abord l'aînée, Frodeline qui épouse Guazzo (Gaston), lequel hérite de Thimert et Rémalard. Puis Albert qui hérite de Brezolles, Senonches et Sorel. Albert et Gaston sont vassaux du comte de Chartres (Thibault III), des comtes de Dreux et du Perche. Or Thibault III guerroie contre Guillaume le Conquérant, lesquels se disputent la possession du Drouais et du Vexin normand. Mais Gaston prend position pour Guillaume le C.. Albert reste fidèle au Roi de France Henri 1er ce qui lui vaudra d'être chassé de Thimert par Guillaume le Conquérant où il installe un de ses vassaux. Henri 1er venge son féal, son « fidèle Albert » en assiégeant lui-même Thimert en 1058 et rase le château en 1059. Gaston fait dès lors bâtir à quelques distances de là dans une clairière un nouveau fort appelé Chastel Neuf (castrum novum) autour duquel se formera un bourg (devenu Châteauneuf-en-Thimerais). Gaston et Albert furent longtemps en guerre au sujet de Châteauneuf et finirent par se réconcilier.
L'histoire locale et ses personnages n'échappent pas à l'image bien connue de cette société ainsi résumée : ceux qui combattent (bellatores), ceux qui (l'écrasante majorité) vivent du labeur agricole (laboratores) et ceux qui prient (oratores). De ces derniers nous allons dire quelques mots concernant leur implication dans le développement initial de Brezolles.
L'appui des ecclésiastiques.
Le christianisme imprègne déjà profondément les comportements mentaux et les conceptions sociales. Les pratiques religieuses sont parfois superficielles mais dans les faits, l'attitude du chrétien est dominée par la peur. Celle, d'une part, de la disette et de l'insécurité, et celle, plus intense encore, de ne pouvoir faire son salut. Le diable, la tentation, l'incompréhensible sont partout. La mort n'est redoutée que si elle survient avant que l'âme ait pu se laver de ses péchés. Le serment, omniprésent dans la vie courante est une protection spirituelle beaucoup plus qu'une garantie juridique.
Revenons à nos modestes hommes d'armes qui sont de bons combattants et en principe des protecteurs mais ne sont pas les plus puissants dans le domaine de l'économie.
Nos seigneurs n'ont pas suffisamment de fortune ni même de main d'œuvre pour mettre en valeur leur fief. Ils font appel aux établissements religieux. Les deux partis signent des contrats de co-seigneurie : le seigneur laïque donne des terres que les moines font labourer par des colons appelés « hôtes ». Ce contrat établit les modalités de partage de la terre entre les promoteurs laïques et les ecclésiastiques. Ce revenu qu'ils en tirent est proportionnel à la récolte. Cette redevance en nature est appelée le « champart ». Mais le paysan n'est pas dispensé de payer pour autant les « cens », impôt en espèce payable sur les anciennes terres, les « tenures ».
C'est ainsi qu'en 1060, Albert, préoccupé par la sauvegarde de son âme et avec le consentement de sa chère épouse Adelaïse dont il n'aura pas de descendance, va voir à Dreux le roi Henri 1er dans son château. Il souhaite donner l'église de Brezolles aux moines bénédictins (ordre de Saint Benoît) de l'abbaye de Saint-Père à Chartres (voir le texte annexé plus loin). Le don inclut également le cimetière, deux arpents de terre derrière l'église, les prés en aval du bourg, différents droits sur le four, le marché, etc. Cet acte est approuvé par Agobert, évêque de Chartres, présent. Il est convenu que les moines consacrent leur temps à la prière, sous la complète protection d'Albert et sont exempts de toutes corvées, définitivement. Cet acte, pour être traditionnellement valable, est solennellement et publiquement confirmé devant le portail de l'église de Saint Vincent, où se traitaient les affaires importantes avant qu'il y eût un hôtel de ville à Dreux. Albert ira aussi à Chartres officialiser sur place ces donations.
Des moines viennent donc s'installer à Brezolles et construisent le prieuré. Parmi eux figure l'abbé Hubert forcé d'abandonner ses fonctions par suite de persécutions que l'évêque de Chartres avait exercé contre lui.
Le Roi Henri étant mort peu après cet acte (4 avril 1060), Albert juge préférable de réclamer à Philippe son fils alors âgé de neuf ans, le nouveau Roi, une seconde charte confirmative de ses donations. Ceci fut fait lors de son passage à Dreux en 1062 lors d'une cérémonie simple. Ce second acte, qui n'était pas nécessaire fut certainement un acte volontaire et d'hommage du vassal envers son suzerain.
En 1070, nos moines achètent l'emplacement d'un vieux moulin (Mal-peine) appartenant au chevalier Gauthier d'Angennes, contre un très bon cheval et quarante sous et une rente annuelle de deux sous. Puis, au pied de la forteresse, les moines barrent la Meuvette, rivière au débit irrégulier pour y retenir un étang destiné à l'empoissonnement et au fonctionnement d'un nouveau moulin. Le prieuré bénéficiera de grandes libéralités de la part des seigneurs de Brezolles, des évêques, du pape et du roi. Le prieur de Brezolles possède justice haute, moyenne et basse, de nombreux droits (dîmes, censives, cens et rentes) sur ses possessions locales et environnantes, droits de passage, marchés, etc.
Conclusion
La fondation d'un bourg comme Brezolles dans cette période de mutations, de luttes, de guerres civiles, obéit à une nécessité de recherche de protection :
- protection humaine : rassemblement de groupes d'autodéfense autour d'hommes forts (naissance de la féodalité)
- protection divine : recours au ciel par l'intermédiaire du monachisme bénédictin, ferment de la spiritualité médiévale.
Les bases de cette nouvelle société étant maintenant bien établies, avec un parfait contrôle du sol, de l'eau et du rôle de chacun, avec comme motivation le souci pour chacun du salut de son âme, la population de Brezolles va s'accroître. Les suites de la bataille d'Hastings (1066) vont à nouveau perturber cette paix avec un nouvel ennemi, l'Anglais, venu s'installer de l'autre coté de la frontière du royaume, notamment à Verneuil sur Avre.
Jean-Luc Jouanigot
(1) Grison : roche dure de la région, peu profonde sous le sol, constituée d'un agrégat de cailloux siliceux soudés par un ciment ferrugineux donnant une couleur brun-rouille à l'ensemble. Utilisée pour la construction de murs solides.
(2) Bas fourneaux : sorte de cheminée de terre où le grison est disposé entre des couches de charbon de bois dont la température monte à près de 1500°.
Le bas fourneau est cassé après la fonte pour récupérer le fer qui a coulé au fond.
(3) paysan (paganus) veut dire habitant d'un pagus, une contrée, mais signifie aussi « païen » parce que le christianisme fut longtemps un phénomène urbain.
A gauche, le clocher-tour de l'église Saint-Pierre à Chartres.
A droite, détail de la porte nord avec sa belle arcature.
Cette église était avant la révolution le sanctuaire de l'abbaye Saint-Père dont il ne reste que des vestiges et surtout cette tour massive bâtie dès l'an 970. Elle rappelle les donjons des fortifications normandes de cette époque. Cette tour servit de cadre à des liturgies pendant deux siècles puis fut abandonnée. Puis les ouvertures furent rétrécies et la tour servit de refuge en ces temps troublés, l'abbaye étant hors des murs de Chartres.
Annexe : un des textes fondateurs de Brezolles : extrait du texte manuscrit copié du cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres en latin de 1060 et la traduction complète de M. l'abbé Kibloff obtenue grâce à l'aide de M. l'abbé Bizeau, archiviste diocésain. Je les remercie pour leur aide précieuse.
" Ego Henricus, gratia Dei, Francorum rex, Notum sit, quod quidam meus fidelis, Albertus nomine, filius scilicet Ribaldi, nobilissimi viri, nostrae serenitatis adiit praesentiam, rogans et obnixe postulans, ut quandam AECCLESIAM, quam pater ejus, fidelis noster Ribaldus, in honore beati Germani Allissioderensis episcopi, CEMENTATORIUM OPERE, IN BRUEROLENSI VICO, pro salute animae suae construxerat, regia quidem volontate, liceret ei dare beato Petro, apostolorum principi, et monachis sibi famulantibus in caenobio quod situm est non longe a maenibus Carnotinae urbis..."
Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Moi Henri (1), roi des Francs par la grâce de Dieu. Bien que le souci multiforme d'honorer les mérites embellisse (déjà) le trône de la dignité royale, c'est pourtant la bienveillance ainsi que la générosité qui détiennent la première place, de telle sorte que leur pratique puisse subvenir aux besoins d'un grand nombre de personnes et apporter satisfaction aux requêtes des gens épris de justice. Qu'il soit donc porté à la connaissance de tous les fidèles de la sainte mère Église, de même qu'à tous (les sujets du royaume), aussi bien à ceux du temps actuel qu'à ceux des temps à venir, ce qui suit: une personne (bien connue de moi) à cause de sa fidélité envers moi, nommée ALBERT, précisément fils de RIBAUD, personnage de très haut lignage, est venue solliciter (personnellement) l'assistance de notre Altesse, en demandant et en réclamant avec insistance que nous daignions acquiescer à ses désirs, en l'écoutant favorablement, en raison de notre attachement royal à la générosité; il s'agissait en l'occurrence de l'affaire suivante: grâce à l'inspiration de Dieu, il avait le projet de pouvoir réaliser, avec l'accord de notre sentiment généreux, ce qu'il (désirait) mener à son terme. Il demandait en fait l'autorisation que voici: (vu que) son père, RIBAUD (2), un homme loyal vis à vis de nous, avait fait édifier, pour le salut de son âme, une église en l'honneur du bienheureux GERMAIN, évêque d'AUXERRE, due au travail de tailleurs de pierre et de maçons, dans le village de [sans doute BREZOLLES], (il demandait, dis-je), bien sûr avec le bon vouloir du roi, qu'on lui permît de la dédier (littéralement: de « la donner ») au bienheureux PIERRE, le chef des apôtres, et d'en faire donation aux moines qui servaient sous son autorité dans le monastère qui est installé non loin des remparts de la cité chartraine(3) ; (il demandait) aussi que lui-même ainsi que les fidèles de cet endroit aient la possibilité d'enrichir (et embellir), en utilisant les biens qu'il détenait évidemment de notre bienfaisante donation, l'église susdite, grâce à notre favorable bonté.
(1) Henri I : troisième roi capétien qui vécu de 1027 à 1060.
(2) Ingulphe Ribaud, père d'Albert.
(3) Saint-Père en Vallée.
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Cet article est paru dans le bulletin municipal de Brezolles de décembre 2004.